Photo du film.

Emilia Pérez : un film entre stéréotypes et mauvaises représentations du Mexique et de la transidentité

Le film Emilia Pérez de Jacques Audiard a remporté 4 Golden Globes, 7 Césars et 2 Oscars. Pourtant, ce film n’aurait jamais dû susciter une telle reconnaissance, et ces prix ne sont, selon moi, aucunement mérités.

Emilia Pérez est un film français, qui aborde le sujet complexe des disparus au Mexique. Pourtant, le réalisateur affirme lui-même n’avoir fait aucune recherche sur le sujet, ce qui explique pourquoi le message que renvoie le film est extrêmement problématique, et pourquoi celui-ci est bourré de stéréotypes. Les thématiques abordées sont présentées avec une immense maladresse, ce qui est inacceptable pour un film de cette notoriété. La bande originale (qui a été récompensée aux Oscars) décrédibilise les victimes du trafic de drogue. Le format de la comédie musicale apporte un ton léger au film qui atténue la gravité de la réalité subie par de nombreuses familles au Mexique. Bien qu’il paraisse parfois comique et ironique, Audiard a bel et bien réalisé ce film avec tout le sérieux du monde. Présenté comme novateur, celui-ci nous fait en réalité reculer des années en arrière en matière de tolérance et de représentation des personnes transgenres et des victimes de la violence systémique. Entre racisme et transphobie, le film de Jacques Audiard se présente déjà comme une catastrophe du cinéma. Attention spoiler, même si je vous déconseille fortement de voir ce film…

De quoi ça parle ?

Emilia Pérez raconte l’histoire de Rita Mora Castro, une avocate mexicaine malmenée par ses supérieurs. Manitas, chef d’un cartel de drogue la contacte pour lui proposer une mission mystérieuse. Celle-ci accepte, et se fait aussitôt kidnappée. Manitas lui propose alors un marché : l’avocate doit l’aider à transitionner pour devenir officiellement Emilia Pérez et l’aider à disparaître, en échange de 2 millions de dollars.

Quelques années plus tard, Rita retrouve Emilia en Angleterre et elles décident de retourner ensemble au Mexique. Soudainement touchée par le désespoir des familles de disparus, Emilia fonde l’ONG « La Lucecita », pour aider ces familles à retrouver les corps de leurs proches. Emilia Pérez meurt idolâtrée de tous les Mexicains, devenant une icône de la « justice » (malgré le fait qu’au départ, c’est elle qui a créé le problème…).

Une histoire incohérente et absurde

On assiste à l’évolution des deux personnages centraux : Emilia et Rita. Les deux femmes vont changer drastiquement leur morale, et ce, sans transition ; ce n’est ni progressif, ni logique. Peut-être que le message que voulait défendre Jacques Audiard à la base n’était pas si mauvais, mais la tournure que prend le récit détruit tout message cohérent.

Rita se place dans un premier temps du côté de la justice. Étant avocate, elle se doit de défendre un homme qui a tué sa femme. Celui-ci gagne son procès, reflétant de graves problèmes juridiques et sociétaux du pays. Rita dénonce alors cette injustice. Lorsqu’elle est kidnappée par Manitas, elle réalise sa mission sous pression, et devient soudainement la meilleure amie de son bourreau. Rita oublie du jour au lendemain ses principes de justice et la manière dont Manitas l’a traitée avant sa transition.

Par la suite, elle invite d’anciennes connaissances de Manitas lors d’un gala de charité pour l’association d’Emilia. Dans cette scène, elle chante sa chanson « El mal », dans laquelle elle critique tous ces gens corrompus qui assistent au gala. Au final, ce personnage est particulièrement hypocrite et pathétique, complice d’un ancien narco qu’elle traite comme une sœur alors qu’il l’a kidnappée, et ne s’en rend même pas compte, critiquant les autres pour ce qu’elle fait elle-même.

Emilia, ex-Manitas, semble être devenue une meilleure personne après sa transition : elle prend conscience que des gens souffrent autour d’elle. Elle crée la Lucecita pour aider les victimes des crimes liés à la drogue. Elle prononce la phrase suivante dans son discours au gala de charité : « Aqui no hay culpables, no juzgamos a nadie » (« Ici il n’y a pas de coupable, on ne juge personne »), c’est bien beau de dire ça quand c’est toi la coupable… Cette fameuse scène du gala de charité avec les invités qui sont eux-mêmes des criminels est une vraie moquerie envers les victimes : on ne les prend pas au sérieux, et en plus le film ne montre pas la réalité de la situation.

Par ailleurs, bien que Emilia ait eu l’air de s’être repentie après sa transition, elle reste tout de même violente avec sa femme, Jessie. Dans la scène de la chanson  « Quiero a mis hijos », elle reprend la voix de Manitas pour menacer Jessie, devenant alors une sorte de monstre violent, quelle belle représentation de la transidentité. Bien qu’Emilia soit en réalité toujours aidée du cartel, elle se convertit à la fin en une véritable héroïne lors de la scène de la procession après sa mort, dans laquelle elle est carrément comparée à la Vierge Marie.

Un message ultra problématique

Tout d’abord, du point de vue de la représentation transgenre, on ne pouvait pas cauchemarder pire : on a en effet l’impression qu’Emilia change de sexe pour changer son identité et échapper à la police, et pas parce qu’elle est réellement une femme transgenre. Son voyage à Bangkok met en scène un spectacle ridicule alors qu’il est censé porter un sujet sérieux, qui ici est totalement décrédibilisé, notamment dans la chanson « La vaginoplastia » dans laquelle nous retrouvons entre autres ces belles paroles : « Man to woman or woman to man? Man to woman. From penis to vagina » (« D’homme à femme ou de femme à homme ? D’homme à femme. De pénis à vagin »). Quelle poésie. Cette moquerie de la communauté transgenre est d’ailleurs soutenue par cette dernière elle-même lorsque les patients de la clinique chantent eux aussi ces paroles. Cette scène perpétue les stéréotypes liés à la transidentité, alors que l’objectif était initialement la représentation de cette communauté. On voit alors le manque de renseignements du réalisateur, qui se conforte lui-même ainsi que les spectateurs dans leur propre idée (transphobe) de la transidentité, modelée par la société.

D’autre part, la femme qui recherche son fils dans un marché rappelle la tragédie d’Ayotzinapa, lorsqu’en 2014 43 étudiants ont été livrés à un cartel, reflétant alors l’importante crise des disparitions forcées au Mexique. Emilia, ancienne cheffe de cartel, crée l’ONG la Lucecita et devient une grande figure médiatique, comme si elle était totalement étrangère au problème. Manitas « devient gentil » en devenant Emilia, alors qu’il a abandonné sa famille et simulé sa mort… Étrange pour quelqu’un qui ne transitionne pas par intérêt. À aucun moment le changement soudain du comportement d’Emilia n’est remis en question, elle devient directement une Sainte alors qu’elle n’est en réalité qu’une égoïste.

Une mise en scène ridicule

Comment parler d’Emilia Pérez sans mentionner le jeu d’actrice épouvantable de Selena Gomez, qui, par ailleurs, ne parle même pas espagnol. Soulignons par ailleurs qu’Adriana Paz est la seule mexicaine du casting, dans un film sur le Mexique. De plus, Selena Gomez enchaîne les humiliations entre sa fameuse réplique « Hasta me duele la pinche vulva nada más de acordarme de ti » (« J’ai mal à la putain de vulve rien qu’en pensant à toi »), ou encore avec sa super chanson au karaoké, qui évidemment a été nommée aux Oscars (vous l’aurez compris, elle ne le méritait pas).

On assiste d’ailleurs à une multitude de stéréotypes du Mexique, perpétués par Jacques Audiard. Le film s’ouvre sur des mariachis, histoire qu’on comprenne bien où se passe le film. La chanson du fils d’Emilia représente bien cette idée de déferlement de préjugés « Hueles como papá, hueles a las montañas, a cuero y café, hueles a la comida picante, picante, hueles a azúcar, al cordero en el fuego, al olor del motor, hueles también a Coca-Cola Light, con limón, hielo y sudor » (en gros, Emilia sent le café, le cuir, la nourriture qui pique, l’agneau sur le feu, le moteur, le Coca-Cola Light, la sueur, ect). Bref, pas besoin d’en dire plus…

Conclusion 

Jacques Audiard a affirmé lors d’une interview que l’espagnol était « une langue de pauvres et de migrants ». Les stéréotypes qu’il perpétue sur la transidentité et le Mexique montrent que les sujets abordés n’étaient absolument pas maîtrisés. Il a simplement montré sa vision d’homme cis hétéro raciste et a bien trouvé son public, puisque les nombreuses personnes qui ont apprécié son film se sont simplement retrouvées confortées dans leurs stéréotypes. Karla Sofia Gazcon a par ailleurs été nommée meilleure actrice transgenre alors que la représentation qu’elle a faite de la communauté est ignoble, et en plus de cela elle exprime dans des interviews être fière de sa performance.

Pour conclure, n’oublions pas que, comme dirait Rita « Cambiar el cuerpo cambia la sociedad, cambiar la sociedad cambia el alma, cambiar el alma cambia la sociedad, y cambiar la sociedad lo cambia
todo. » (« Changer le corps change la société, changer la société change l’âme, changer l’âme change la société, et changer la société change tout. »). Quelle belle morale n’est ce pas ?

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