Droitardés, littéralement

Quand la droite n’a plus que sa bêtise

ἀλλὰ μὴν οὐδὲ τόδε καλόν, τὸ ἀδυνάτους εἶναι ἴσως πόλεμόν τινα πολεμεῖν διὰ τὸ ἀναγκάζεσθαι ἢ χρωμένους τῷ πλήθει ώπλισμένω δεδιέναι μᾶλλον ἢ τοὺς πολεμίους, ἢ μὴ χρωμένους ὡς ἀληθῶς ὀλιγαρχικοὺς φανῆναι ἐν αὐτῷ τῷ μάχεσθαι, καὶ ἅμα χρήματα μὴ ἐθέλειν εἰσφέρειν, ἅτε φιλοχρημάτους. (Platon, République, 551d-e)

“Ce n’est pas non plus un avantage que l’impossibilité presque certaine où les oligarques seront de faire la guerre, étant forcés ou d’armer le peuple et de le craindre plus que l’ennemi, ou, s’ils ne le font pas, de laisser voir dans la bataille même qu’ils sont bien des oligarques, sans compter que leur avarice les empêchera de fournir aux dépenses de la guerre.”

La bêtise semble avoir acquis tout le champ d’action politique parmi les hommes politiques de droite. Le moins que l’on puisse dire, c’est qu’à mesure qu’ils acquièrent le pouvoir, non dans la forme réfléchie, bien que déjà affaiblie telle qu’elle se présentait dans les décennies qui ont précédé notre siècle, la bêtise contamine les pensées, les paroles et les actions des citoyens sur le territoire français, comme ailleurs.

Il est du naturel, même de l’essentiel, pour la droite de perpétrer une politique qui a pour fin de conserver ; on peut résumer la droite et son histoire comme cela : les propositions à la fois découlent, et ont pour but la conservation d’un système, la conservation d’idées. Or lorsque face à un ensemble de personnes qui doivent les porter au pouvoir ils sont confrontés, dans l’optique de se conserver, il se trouvent forcés à participer à la discussion d’idées. La droite si on la vide de l’idée de clivage, pourrait être conçue vidée de ses idées, qui ne sont pas des propositions intrinsèques à des personnes, ni des opinions propriétaires, mais simplement un réflexe de conservation, de statu quo. L’idée de réaction politique n’intervient qu’à partir du moment où ceux-là doivent faire face à une frange, même minimale, dont l’opposition est suffisamment forte, et ce pour tous les systèmes politiques confondus.

C’est pour ces raisons qu’il n’y a jamais eu de droite “réfléchie”. Toutes les droites dont on avance des arguments pour dire qu’elles sont réfléchies, intègres, ne sont que des réflexions tirées bien a posteriori, lorsque l’on peut constater une dégradation de la qualité de nos dirigeants et des acteurs politiques qui pousse les gens à chercher des modèles. À conférer la manière dont les jeunes de droite, qui n’ont pas plus de 25 ans, tiennent en haute estime la France de Charles de Gaulle. Ces jeunes n’ont déjà aucune idée profonde de la République qu’a façonné de Gaulle. Et c’est là le premier indicateur de la bêtise que l’on observe : parmi eux, rares sont les jeunes qui sont à la quête d’un réel modèle politique pour diriger un territoire et des personnes, plus que d’un homme grand et fort, qui matera le désordre du pays.

C’est ici la République que de Gaulle eut pourtant tenté de façonner, au moyen d’un coup d’État qui fait l’objet d’un silence pour nos dirigeants actuels, même pour Mitterrand qui l’eut pourtant dénoncé en 64, pour deux raisons : déjà car le fauteuil présidentiel, qui renaissait de ses cendres après une IVe République bien plus constitutionnellement arbitrée, est très confortable, même lorsque son occupant était chétif comme Hollande le fut, ou bien quand il eut fallu l’occuper pendant quatorze ans comme Mitterrand lui-même ; la deuxième en découle, puisque quand le régime politique dure soixante années, on convainc la majorité des Français que le renverser sèmerait la zizanie, et par conséquent la Ve République devient une constitution d’être de la modération politique intérieure du Français moyen.

Bien des structures de notre Constitution font ainsi deux choses : d’abord elles empêcheront pour toujours la gauche d’accéder au pouvoir, et ici, il s’agit de la gauche, pas d’un président de gauche, ni un député de gauche, ni un président de parlement de gauche. Toutes ces choses sont déjà arrivées, bien que pour le cas du président il s’est agi au plus rigoureusement de deux ans, au moins de quatorze. Ensuite, elle semble fonctionner à rebours, et la bêtise présente de plus en plus absurdement et abondamment chez la droite est un des signes les plus flagrants qu’elle approche de sa fin. Nous avons délibérément accepté d’avoir dans le champ électoral des hommes politiques gouvernés par la stupidité la plus affligeante. Leur action, telle un cercle vicieux, est autant nourrie par la façon dont les grandes fortunes se sont insérées de façon la plus intempestive dans les opinions que balancent les médias, qu’elle nourrit celles-ci. Or ce n’est que rarement les pouvoirs politiques qui balancent l’opinion : on a rarement entendu un président de cette République nous demander de le suivre dans ses idées politiques. Mais ce sont bien les médias.

La bêtise médiatique, et plus particulièrement ses acteurs, peut être nommée par n’importe quel Français qui foule le sol du pays. Même les gens de droite savent au plus profond d’eux où se trouvent les bêtises les plus crasses qui sont répétées à longueur de journée. Et ils en sont satisfaits. Non parce qu’ils partagent profondément ces idées, mais pour les causes que nous avons étudiées précédemment. Parce qu’ils ont été acquis au modèle républicain de la formulation des idées, par sa longévité, une bonne partie des idées qui se sont immiscées déjà à l’époque où Jean-Marie Le Pen agissait médiatiquement seul contre tous (avec ses cochonneries toujours plus grandes les unes que les autres), et que la droite pouvait encore se ranger derrière des hommes qui donnaient au moins l’impression d’être grands comme Chirac, ces idées infusent comme un long thé. Le tandem Sarkozy-Hollande ont tant bien que mal mis sous le tapis cette infusion. Mais c’est sous Macron que les choses explosent, pour les raisons que l’on connaît.

Bruno Retailleau, et de façon moindre Laurent Wauquiez, mais plus globalement l’ensemble des politiciens du parti Les Républicains qui ont décidé d’adopter une ligne nous-le-savons-déjà radicale, mais surtout bien anormale par rapport à la position classique du parti, sont les meilleurs représentants de la bêtise qui a complètement envahi cette droite “raisonnée”. Bien que nous eussions dit que la droite n’avait de toute façon jamais eu pour essence la fameuse raison qu’on lui attribue, ce qui est particulier à ces années, c’est le déplacement de ce qu’on conçoit médiatiquement comme raisonnable au centre. Macron a certainement à jouer là-dedans en étant président de la République, mais un problème plus grand est traduit ici. Cette impression d’une droite raisonnée seulement a posteriori existe parce que le barycentre politique français s’est toujours trouvé à LR. Et c’est ici tout cela qui fait que nous soyons aussi désemparés d’entendre Retailleau faire déclaration stupide après déclaration stupide. Le monstre à deux têtes de la politique française qu’a créé de Gaulle en a maintenant 3 : LR ne peut plus en être le barycentre du tout. Ainsi Jean-Marie Le Pen n’est plus de ceux qui tirent la corde, il voit Retailleau lui courir après dans l’étonnement le plus général : car Jean-Marie Le Pen était intrinsèquement raciste, homophobe, antisémite, négrophobe et nous pouvons en faire de nombreuses. Retailleau lui n’est politiquement que stupidité. Pareil pour Ciotti, en plus extrême, au demeurant. Le gaullisme a créé la forme actuelle de la bêtise politique et médiatique derrière les hommes politiques de droite modérée à dure. Pourquoi croyons-nous que des hommes comme Aurélien Pradié quittent LR ? C’est la bêtise qui a pris toute la droite, et bien que crasseux, c’est, hélas, inexorable.

Le macronisme d’aujourd’hui est une sorte de cheval de Troie d’antan qui achève de déverser dans les derniers jours de la dépolitisation de masse cette infusion des idées d’extrême-droite dans nos espaces politiques. L’essentialisme est certainement la composante majeure de ce versant. Tout découle ou presque de l’essentialisation, et cela est le plus visible lorsqu’il s’agit de prétendre ausculter l’homme tout en restant simple pour séduire les dépolitisés. Et d’où la mascarade. En mars 2025, un journaliste s’est retrouvé à dire que nous devrions avoir conscience de la “centaine d’Oradour-sur-Glane” que la France fit durant sa présence coloniale en Algérie. Abandonnons le terrain de la gravité qu’il faut laisser aux historiens. Mais sur la symbolique : ce qui a suivi est la vague d’immigration nord-africaine de la fin du XXe siècle et du début du XXIe, et surtout leur forte présence, ainsi que celle d’autres diasporas immigrées dans les lieux en marge du pays, dans son versant urbain : les banlieues, dans lesquelles on retrouve les grands ensembles, les cités. Assez vite il arriva à ces diasporas d’être haïes par certains Français, qui invoquent la raison du désordre, émeutes et compagnie. Mais ils ne sont ceux parvenus à cette association d’idées prétendument infaillible, c’est bien l’extrême-droite, dans laquelle ont sauté à pieds joints Chirac puis Sarkozy lorsqu’il s’agit de récupérer des voix en campagne. Comment sait-on que cela vient de l’extrême-droite ? Il suffit de tourner la tête du côté de la présence de la diaspora italienne dans le pays dans les années 70. Même cas, même chose. Et ils étaient tout aussi haïs. Tout intelligents qu’ils se sont crus, c’est comme cela que les Français se sont approprié ces idées abominables : quand vous pensez que l’idée est vôtre, il est bien plus dur de la déloger de votre esprit que si on vous fait croire qu’elles vous l’ont été récemment insufflées (encore une fois, et là voir les traitements politiques récents sur la question de la postérité des discours qui ont suivi le 7 octobre). Les Français s’étant appropriés ces idées, pour le jeune homme maghrébin qui vit en cité, c’était déjà perdu d’avance. Et il doit au-delà de cela se coltiner l’enseignement en France, qui au-delà de son nombre hallucinant de professeurs souhaitant exercer leur métier correctement (et que Macron achève, là aussi, également de détruire), est loin d’être la fabrique d’une conscience anticoloniale. Non seulement la faible présence du militantisme intellectuel au-delà du milieu universitaire, mais aussi le rôle médiatique ou scolaire dans la construction de la curiosité ou l’information de l’élève puis du jeune adulte. La combinaison de ces deux facteurs, d’une part l’essentialisation du jeune homme d’origine immigrée par le Français moyen comme une personne qui serait, dans son essence, plus encline à semer la zizanie qu’un autre, et d’autre part la faiblesse de nos institutions républicaines pour construire même un tant soit peu une conscience contre le colonialisme, qu’il soit spatial ou mental. Et une fois grands, pourquoi s’étonner qu’il ne comprenne pas ? Comment peut-on entendre le fils de Sarkozy dire qu’il regrette qu’il y ait des immigrés de la troisième génération qui ne se sentent pas Français ? Est-ce avoir trop bien appris la malhonnêteté de son père ? Ou bien s’agit-il de la naïveté qui occupe ce champ de la politique qui est le serpent qui vient mordre sa propre queue ? Le jeune, il est infantilisé pendant 20 ans, et encore plus loin, peut-être pour toujours vu combien de nos parents sont de plus en plus souvent perméables à ces discours. Rares sont ceux d’entre nous qui sortent de là assez jeunes. La haine viscérale de l’extrême-droite devient bêtise crasse, piège à cons de la droite “républicaine” qui n’a jamais proprement existé, et le macronisme termine le boulot en transformant un parti politique en une bouillie qui la rend perméable à des abrutis qui portent en eux ces idées, tout en les permettant de se dire centristes. Gérald Darmanin est certainement un autre point d’appui du cheminement. La perspective d’étude sur Bruno Retailleau permettait une vue sur la droite telle qu’elle se montre aujourd’hui.

Tout et rien ne semble sortir de ce que Macron a créé il y a à peu près dix ans de cela, bien que l’on puisse lui attribuer d’avoir magistralement retardé l’échéance du “socialisme ou barbarie” en France. En faisant des deux côtés du spectre un monstre à trois têtes qui, faute d’un flanc gauche, c’est bien le macronisme qui ouvrit une brèche pour que s’exprime en plein air le terrain de jeu de chaises musicales sur son flanc droit entre ces “républicains” et la pure et simple extrême-droite de Marine Le Pen (dont il faut saluer le culot de faire appel de la récente décision de justice de son inéligibilité). C’est Darmanin qui reprocha à Marine Le Pen d’être trop molle, de ne pas avoir pris assez de vitamines (sic). Bien sûr que ce Darmanin sous-entendit le plus logiquement que c’est Le Pen qui n’était pas assez d’extrême-droite : ce n’est qu’après ce sens premier qu’il faut apercevoir une volonté chez Darmanin de se rapprocher de ces cercles de droite dont les macronistes prirent la résolution de leur plaire. Mais de son côté, le Darmanin d’aujourd’hui n’a pas à rougir, ni devant Les Républicains, parce que c’est tout de même de là qu’il vient, ni devant le Front national, parce que toute sa politique de ministre de l’Intérieur fut le rêve d’une Marine Le Pen des années 2000. Ainsi le macronisme est le nid de cette bêtise, ô combien grande.

Mais gardons notre barycentre d’études : il faut regarder depuis la droite et non depuis Macron. Et le constat est sans appel : quelle idiotie que de partir des Républicains pour être un proto-Retailleau. Darmanin le sait, ce n’est qu’un énième technocrate, et comme tout technocrate depuis très longtemps, tout κράτος (la puissance souveraine) est bon à prendre. La τέχνη (l’art, la technique) en revanche, s’est complètement diluée dans les privilèges sociaux dont ces gens ont bénéficié. Cela étonnera plus d’un d’apprendre que Laurent Wauquiez a fini 1er à l’agrégation d’histoire – voilà la τέχνη, qui sert à raconter de la bêtise sur l’Empire romain. Quand celle-là est absente, i.e. Nicolas Sarkozy, c’est encore pire : c’est même, plus ou moins à partir de lui que l’on aperçut de plus en plus combien cette droite n’avait absolument rien hérité de Charles de Gaulle, et qu’on pouvait y placer n’importe quel abruti qu’il finirait par trouver son compte. Les grandes tailles et les grandes déclarations guerrières des Trente Glorieuses sont devenues le fameux “nettoyer au Kärcher”, formulation complètement déconnectée. Mais justement, c’est cela, la droite de la déconnexion, qui a nécessairement un lien avec le fait qu’il faille être moins fin pour aller plus haut. Il suffit de dire ce que les grandes fortunes veulent entendre : tout s’exprime peu ou prou, comme on le disait, dans l’action. C’est l’apanage de tout le monde maintenant, pourvu qu’on ait un peu confiance en l’amour du peuple pour nous, on peut dire tout ce qui nous permet de ne pas se mouiller. Il s’agit de nombreuses choses qui régissent la droite dont on a le malheur qu’elle nous dirige aujourd’hui : Retailleau est à l’Intérieur et y tient, Darmanin en vient et alla à la Justice, tandis que Barnier vient de se barrer, et Laurent Wauquiez est à la tête d’une région entière. Elle est là, la République bananière (sic) dont parlait Jean-Luc Mélenchon (cf. déclaration à l’issue des élections européennes, le 9 juin 2024). Nous tirerons au clair d’autres choses sur la droite le moment venu. À nous de voir d’abord combien de temps nous tiendrons avant que la barbarie soit évidente à tous ; ou bien combien ils tiendront avant le temps de la révolution politique. Politique, c’est-à-dire, sociale. En attendant, nous pouvons leur dire à ces droitardés ce que Ruy Blas, ce fameux personnage de Victor Hugo, en croisant les bras, eut dit face aux conseillers du roi qui se partagent entre eux les richesses du royaume espagnol :

« Bon appétit, messieurs !

(…)

Donc vous n’avez ici pas d’autres intérêts
Que remplir votre poche et vous enfuir après !
Soyez flétris, devant votre pays qui tombe,
Fossoyeurs qui venez le voler dans sa tombe !
— Mais voyez, regardez, ayez quelque pudeur.
L’Espagne et sa vertu, l’Espagne et sa grandeur,
Tout s’en va. »

(Victor Hugo, Ruy Blas, III, 2)

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